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 Correspondance, souvenir

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MessageSujet: Correspondance, souvenir   Correspondance, souvenir Icon_minitimeMar 10 Aoû 2010 - 17:42



Angéline de Montbrun à Mina Darville)




Chère Mina,

Merci et encore merci de vos si bonnes lettres. J’ai l’air ingrate, mais je ne le suis pas.

À part quelques billets bien courts à ma tante, je n’écris absolument à personne. Il me vient quelques lettres de celles qu’on appelait mes amies. (Pauvre amitié ! pauvres amies !) Je vous avoue que, d’un jour à l’autre je crois moins à leur sympathie profonde.

Aussi, sans le moindre remords, j’use de mes privilèges de malade, et laisse les lettres sans réponse. Soyez tranquille, leur sympathie profonde ne trouble ni leur repos, ni leurs plaisirs. Elles ont toutes la force de supporter les peines des autres.

Je me trouve plutôt bien de mon séjour à la campagne. Il me semble que je n’ai plus cette fièvre terrible qui me brûlait le sang. Le repos absolu et le grand air me calment, me rafraîchissent. Il est vrai que mon isolement m’est parfois bien douloureux ; mais toujours je suis débarrassée des condoléances de ces importuns qui sont, comme les amis de Job, pleins de discours.

Du reste, que votre bonne amitié se rassure. Je suis parfaitement bien soignée. Combien de malades qui manquent de tout !

Dans mes heures d’accablement, j’essaie de penser à ceux qui sont plus à plaindre que moi. Jamais vous n’avez vu ma chaumière jolie comme cet été. C’est un nid de verdure. On la dirait faite exprès pour abriter le bonheur. Les oiseaux chantent et gazouillent dans ces beaux arbres que mon père a plantés.

Vous me demandez des détails sur la vie que je mène. Vous voulez savoir qui je reçois, ce que je fais.

Vraiment chère amie, le docteur excepté, je ne reçois à bien dire personne, mais je me promène un peu, et je tricote beaucoup, tout en faisant lire pour moi.

Je m’en tiens surtout aux livres de religion et d’histoire. J’ai besoin d’élever mon cœur en haut, et j’aime à voir revivre, sous mes yeux, ces gloires, ces grandeurs qui sont maintenant poussière.

Je passe toutes mes soirées dans son cabinet de travail, comme j’en avais l’habitude lorsqu’il vivait. Quand le temps est beau, on laisse les fenêtres ouvertes, et je fais faire un grand feu dans la cheminée.

Vous vous rappelez comme mon père aimait à veiller ainsi au coin du feu. « Mon foyer, mon doux foyer », disait-il souvent. Mina, je ne suis pas encore faite à la séparation sans retour.

Souvent, quand une porte s’ouvre, j’ai des sursauts. Il me semble qu’il va entrer. Mais non, il ne viendra plus à moi. C’est moi qui irai le rejoindre, sous le pavé de cette chère église des Ursulines, où il a voulu reposer à côté de ma mère.

J’ai mis son portrait au-dessus de la cheminée. Je n’en ai jamais vu d’une ressemblance si saisissante. Parfois, quand je le contemple, à la lueur un peu incertaine du foyer, je crois qu’il s’anime, qu’il va m’ouvrir les bras, mais c’est illusion d’un moment, et aussitôt, je le revois mort, enseveli, couché dans le cercueil sous la terre, avec mon crucifix et l’image de la Vierge entre ses mains jointes.

Mon amie, priez pour moi. Chère Mina, je ne suis plus rien, ou au plus, je suis peu de chose pour votre frère ; mais vous êtes et vous serez toujours ma sœur chérie.

Ah ! j’aimais à vous nommer de ce nom, et je n’oublie pas qu’en entrant au couvent, vous disiez que, vous séparer de moi, c’était un sacrifice digne d’être offert à Dieu.

Quant à ma conduite envers Maurice, vous avez tort de la blâmer. Sans doute, en homme de cœur et d’honneur, il a voulu tenir son engagement, et faire célébrer notre mariage ; mais pouvais-je accepter ce sacrifice ?

Je vous assure que le monde entier ne me ferait pas revenir sur mon refus. Pauvre Maurice ! il demandait si ses soins, si sa tendresse ne m’aiderait pas à supporter la vie. Mina, sa présence, sa seule présence m’adoucirait tout, s’il m’aimait encore, mais il n’a plus pour moi que de la pitié — et que j’aurais vite déchiré ce que je viens d’écrire, si je n’étais sûre qu’il l’ignorera toujours.

Comme le temps passe ! Vous voilà déjà à la veille de vos noces sacrées. Vous dites que ce jour-là, votre plus ardente prière sera pour moi. Merci, Mina. Demandez à Jésus-Christ que je l’aime avant de mourir,

Chère sœur, je voudrais assister à votre profession. Je voudrais vous entendre prononcer vos vœux, ces vœux qui vont vous séparer pour jamais du monde trompeur et trompé. Heureux ceux qui n’attendent rien de la vie ! Heureux ceux qui ne demandent rien aux créatures !

O mon amie, aimez votre divin Crucifié, car Lui vous aimera toujours. Il est la bonté infinie. Il est l’éternel, l’incompréhensible amour. Et avec quelle joie je donnerais ce que je possède pour sentir ces vérités, comme je les sentais dans les bras de mon père mourant. Mais j’ai perdu cette claire vue de Dieu qui me fut donnée à l’heure de l’indicible angoisse.

Chère sœur, dans les premiers mois de mon deuil, vous avez été un ange pour moi. Maurice aussi, et pourtant ce ne sont pas vos soins, ce n’est pas votre tendresse qui m’a fait vivre.

Ce qui me soutenait, c’était le souvenir de la bonté de Dieu, inexprimablement sentie et goûtée à l’heure redoutable du sacrifice — à cette heure où j’ai souffert plus que pour mourir.

Vous, Mina, vous savez ce que mon père était pour moi. Et qui donc à ma place ne l’eût pas ardemment et profondément aimé ? Tous les soirs, après mes prières, je m’agenouille devant son portrait, comme j’aimais à le faire devant lui, et, bien souvent, je pleure.

Pardon de vous parler si longuement de mes peines. Je n’en dis jamais rien, et j’aurais besoin d’expansion. Hélas ! je pense sans cesse à la délicieuse vie d’autrefois.

O mon amie, je voudrais pleurer dans vos bras, mais voici que l’infranchissable grille d’un cloître va nous séparer pour toujours. Adieu.



Angéline de Montbrun
Laure Conan
1884


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MessageSujet: Re: Correspondance, souvenir   Correspondance, souvenir Icon_minitimeMar 10 Aoû 2010 - 22:27



(Maurice Darville à Charles de Montbrun)




Monsieur,




Je n’essaierai pas de vous remercier. Sans cesse, je relis votre lettre pour me convaincre de mon bonheur.

Mademoiselle votre fille peut-elle croire que je veuille la séparer de vous ? Non, mille fois non, je ne veux pas la faire souffrir. D’ailleurs, sans flatterie aucune, votre compagnie m’est délicieuse.

Et pourquoi, s’il vous plaît, ne serais-je pas vraiment un fils pour vous ? Je l’avoue humblement, je me suis parfois surpris à être jaloux de vous ; je trouvais qu’elle vous aimait trop. Mais maintenant je ne demande qu’à m’associer à son culte ; il faudra bien que vous finissiez par nous confondre un peu dans votre cœur.

Vous dites, Monsieur, que mon père était l’homme le plus loyal, le plus franc que vous ayez connu. J’en suis heureux et j’en suis fier. Si j’ai le bonheur de lui ressembler en cela, c’est bien à lui que je le dois.

Je me rappelle parfaitement son mépris pour tout mensonge, et je puis vous affirmer que sa main tendrement sévère le punissait fort bien. « Celui qui se souille d’un mensonge, me disait-il alors, toutes les eaux de la terre ne le laveront jamais. »

Cette parole me frappait beaucoup, et faisait rêver mon jeune esprit, quand je m’arrêtais à regarder le Saint-Laurent.

Je vous en prie, prenez la direction de toute ma vie, et veuillez faire agréer à Mlle de Montbrun, avec mes hommages les plus respectueux, l’assurance de ma reconnaissance sans bornes.

Monsieur, je voudrais pouvoir vous dire mon bonheur et ma gratitude.


Maurice Darville.

Angéline de Montbrun
Laure Conan
1884


Dernière édition par Admin le Mar 10 Aoû 2010 - 22:31, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Correspondance, souvenir   Correspondance, souvenir Icon_minitimeMar 10 Aoû 2010 - 22:46





(Mina Darville à Emma S***)




Ma chère Emma, je m’en vais vous conter une petite chose qui m’a laissé un aimable souvenir.

Ces jours derniers, un jeune cultivateur des environs vint demander un bouquet à Mlle de Montbrun pour sa fiancée. Il devait se marier le lendemain. Aussi nous fîmes de notre mieux, et le bouquet se trouva digne d’une reine.

Le brave garçon le regardait avec ravissement et n’osait presque y toucher. Son amour est célèbre par ici, et comme les femmes s’intéressent toujours un peu à ces choses-là, nous le fîmes causer.

Ah, ma chère, celui-là n’est pas un blasé, ni un rêveur non plus, je dois le dire, — car il est le plus rude travailleur de l’endroit, — aussi sous sa naïve parole on sent le plein, comme sous la parole de bien d’autres on sent le creux, le vide.

Angéline l’écoutait avec une curiosité émue et sincère ; moi je le faisais parler, et finalement, nous restâmes charmées.

Angéline décida qu’il fallait faire une petite surprise à ces amoureux et le jour des noces, nous fûmes leur porter un joli petit réveillon,

Les mariés n’étaient pas encore arrivés. Je vous avoue que leur maisonnette proprette et close m’intéressa.

Nous avons tout examiné : les moissons qui mûrissent, les arbres fruitiers encore petits, le jardinet qui fleurira. Tout près de la porte, deux vieux peupliers ombragent une source charmante.

Angéline dit que les belles sources et les vieux arbres portent bonheur aux maisons. Celle-ci n’a, à bien dire, que les quatre pans, mais on y sentait ce qui remplace tout. La nappe fut bientôt mise, et le réveillon sorti du panier.

C’était plaisir de voir Angéline s’occuper de ces soins de ménage, dans cette pauvre maison. Elle regardait partout, avec ces beaux yeux grands ouverts que vous connaissez, et me fit remarquer le bois et l’écorce soigneusement disposés dans l’âtre, n’attendant qu’une étincelle pour prendre feu. Je vous avoue que ce petit détail me fit rêver.

Nous sommes revenus en philosophant. Angéline voulait savoir pourquoi dans le monde on attache du mépris à une vie pauvre, simple et frugale. Si vous l’entendiez parler des anciens Romains !

Quant à moi, j’aime ces grands noms sur les lèvres roses ; je vois toujours avec respect la pauvre maison d’un colon et pourtant... Aurais-je donc moi, de cette vieille dévotion que vous appelez le culte du veau d’or ? Je ne le crois pas, mais certains côtés du faste m’éblouissent toujours un peu.

Pour se soustraire tout à fait à l’esprit du monde, il faut une âme très forte et très noble. Or, les âmes fortes sont rares, et les âmes nobles aussi.

Je vous embrasse.

Mina.


Angéline de Montbrun
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